Roland Barthes – La chambre claire (1980).

Qu’est-ce que la photographie ? En-dehors de son usage, de son aspect technique ou de son histoire, Roland Barthes se pose la question « ontologique » : qu’est-ce que la photographie « en soi » ? Dans ce livre, divisé en deux parties, il tente d’apporter une réponse.

Il remarque dans un premier temps que ce qui est photographié n’a eu lieu qu’une seule fois et pourtant on peut le voir une infinité de fois (à chaque fois que l’on regarde la photographie). La photographie montre quelque chose, elle « pointe du doigt », c’est la raison pour laquelle on ne peut pas parler de la Photographie en générale mais d’une photographie particulière. D’ailleurs, la photographie (l’objet que l’on tient dans notre main) disparaît quand on la regarde, on ne voit que ce qu’elle montre. Roland Barthes utilise le mot « référent » pour parler de ce que la photographie montre et il ajoute aussitôt un terme : le spectrum (dont la racine est le mot spectacle, mais il y a aussi une notion de mort (spectrum, en latin : spectre, fantôme).

On a tous ressenti cette sorte de malaise quand on est photographié, ne sachant pas trop comment nous positionner (comment poser) – on passe de « sujet » (nous, en tant qu’individu) à un « objet » (photographié) ; Roland Barthes dit que cette sensation de sujet qui devient objet est une « micro-expérience de la mort ». Cette notion de mort est très importante dans la seconde partie du livre.

« Le punctum, pour moi, ce sont les bras croisés du second mousse.« 
(Nadar : Savorgnan de Brazza, 1882)

Roland Barthes remarque également que parmi la multitude de photographies qu’il peut voir seulement certaines font « tilt » en lui et il veut savoir pourquoi. Il analyse ainsi de nombreuses photographies. La plupart sont des photographies à caractère historique dont les éléments renvoient à une sorte de « dressage » (un intérêt lié à la raison, à une « culture morale et politique ») – il nomme cela le studium. Cependant autre chose intervient et cette fois ça ne part pas de lui vers la photographie (ce qui est le cas dans le studium) mais de la photographie vers lui, ça le « perce » comme une flèche lancée, il appelle cela le punctum : « Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne). » Le punctum se reçoit « en plein visage », il est un « détail » que l’on ne peut pas prévoir (pas même le photographe).

La seconde partie du livre s’ouvre avec ces réflexions. Dans celle-ci Roland Barthes va penser à partir de la photographie qui représente sa mère lorsqu’elle était enfant. Notons que sa mère (dont il était très proche) est morte peu de temps avant la rédaction du livre. Sa réflexion se mêle donc à du récit autobiographique très touchant. En progressant, il découvre ce qu’il appelle « l’essence » de la photographie, le « Ça-a-été » : « Toute photographie est un certificat de présence. » – S’engage alors une réflexion la mort et sur le Temps, nouveau punctum, que je vous invite à découvrir en lisant ce livre.

« Il est mort et il va mourir. »

(Alexander Gardner : Portrait de Lewis Payne, 1865.)
Lewis Payne (ou Lewis Powell) a été condamné à mort et cette photo le représente après son arrestation.

Roland Barthes, La chambre claire (1980) – 200 pages, Gallimard.
Difficulté : 3/5